28 juillet 2015 2 28 /07 /juillet /2015 12:42

 

Nouvelles du futur

Ou

Les secrets du monde qu’on nous prépare

(Charles Daraya)

 

01 - Le rêve d'un colosse

02 - Machine & humanisation

Partie I

03 - Jouir de consommer

04 -  Un processus implacable

Partie II

05 -  Métamachine

06 - Le siècle du calcul

 

Le siècle du calcul est la transformation achevée du monde en métamachine.

Dans l’ensemble, il s’agit d’un organisme artificiel, un exosquelette mécanique, dont la prospérité a été fondée sur sa capacité à bouleverser rapidement, ou à détruire, les cultures humaines préalables à son avènement, afin de les reformuler selon ses impératifs.

Ce que la culture industrielle et consumériste a en effet produit est un monde urbanisé dont les populations ont été déracinées, par le corps et l’esprit, des cultures paysannes et artisanales dont elles provenaient [1]. En moins d’un siècle en effet, ce sont les modes de vie et de pensée issus des quinze derniers siècles qui auront été largement balayés, si l’on prend pour point de référence la déchéance de l’Empire romain, qui était un autre monde.

 

La France rurale en 1960

 

Ce déracinement a commencé au XVIIIe siècle, dans les lieux de productions des villes industrielles, là où l’ancienne culture des métiers fut transférée aux machines. Puis, il a été achevé par la mise en place de la métamachine consumériste (1920 - 1960) qui, depuis une génération, ne cesse de grandir au travers de ses extensions informatiques et informationnelles. Le saut décisif dans sa progression s’est produit lors des deux dernières décennies du XXe siècle, sous la poussée d’une conjonction de phénomènes : libéralisation des marchés, ouverture des frontières, déchéance du monde communiste, conversions capitalistes de l’Europe de l’Est et de l’Asie, financiarisation des économies, instauration de zones intégrées (Union européenne, Alena, etc. ; bientôt un Traité Transatlantique ?), nouvelles technologies de l’information, promotion de la « mondialisation », etc.

Une somme de faits et d’évolutions qui parlent ensemble de la constitution d’un monde désiré uniformisé (D’abord sur le plan socioéconomique, mais peut-être que plus tard, ce sera aussi sur le plan socioculturel ?).

Au cours de cette mutation explosive par sa diversité et son échelle planétaire, l’expansion des outils informatiques a été la cheville ouvrière du déploiement de la métamachine d’origine occidentale, mais pas simplement.

 

Libéralisation des marchés

 

Un outil stratégique est en effet l’incarnation des intentions de son employeur, comme il est l’expression préalable de ses buts. Avec la Nasa, les Américains annoncèrent leur volonté de dominer le monde, ce qu’ils accomplirent dix ans plus tard en allant sur la Lune (1969) ; le IIIe Reich ne pouvait se lancer dans ses Blitzkrieg sans ses panzers et ses stukas ; en coulant sa marine extraordinaire au XVe siècle, la Chine annonçait qu’elle se repliait sur elle-même, etc.

Ainsi, alors que la métamachine déployait et intégrait ses systèmes organisationnels et informationnels à l’échelle du monde, elle insérait complètement celui-ci à son projet consumériste, comme à ses modalités de fonctionnement. Presque tous les territoires et leurs activités ont été reliés, articulés et puis synchronisés par-dessus les frontières des nations.

C’est d’ailleurs à cette époque que de nouvelles formes d’organisations matricielles d’entreprises et d’administrations ont été jetées comme des filets sur la terre afin d’achever son quadrillage. Même les États, traditionnellement moins préoccupés de productivité, n’ont pas échappé à cette intégration informatique et organisationnelle de leurs affaires internes [2].

Au tournant du IIe millénaire, l’explosion des technologies de l’information (téléphonie, Internet, systèmes d’information, etc.) renforcera l’emprise de la métamachine. Elle permettra de relier les chaînes de valeur d’un bout à l’autre de la planète et de les articuler en temps réel. De la matière première à l’acte d’achat du produit fini, en passant par le financement à crédit de cet achat, jusqu’au réapprovisionnement en matière première, afin de reproduire le cycle production - distribution/promotion - consommation.

Et au cœur de ce processus d’expansion de la métamachine, les systèmes bancaires et financiers ont mis à disposition ou injecté le carburant nécessaire à ses progrès, l’argent - sous forme de dette ou de capital. Voir, Partie III.

 

Les chaînes de valeur

 

À propos de cette métamorphose spectaculaire, on doit signaler qu’un événement en particulier fut déterminant : la déchéance du communisme et celle, en particulier, de l’URSS en 1991. Jusqu’à cette date en effet, le monde soviétique (1917 - 1991) avait de sa seule existence, et du fait de son développement socioéconomique, constitué un contrepoids puissant à l’expansion d’une culture consumériste, ainsi qu’à l’appareillage machinal qui le soutient. Quoi qu’on pense par ailleurs de cet univers, dont le caractère déshumanisant est une affaire entendue pour l’essentiel. Voir remarque II, hommage aux Soviétiques ?

On est donc conduit à penser que l’époque actuelle a véritablement débuté en 1991. Cette année-là, cinq décennies après l’anéantissement du IIIe Reich, une deuxième forme de déshumanisation directement totalitaire a pris fin, et ouvert une nouvelle époque. Sous ce rapport, il est inexact de prétendre que le XXIe siècle a pu naître sur les ruines des attentats du 11 septembre 2001. Cela procède d’une vision émotionnelle ou intéressée de l’Histoire, américano-centrée, qui ignore quatre faits établis, ou qui veut les ignorer.

Le premier est que ces attentats sont la conséquence de l’action américaine dans le monde depuis le début des années 1980 : les attentats de 2001 en sont le résultat direct.

 

1991 Fin de l'URSS

 

Le second est que leurs auteurs furent impliqués dans la défaite soviétique en Afghanistan (1989). Une déconfiture qui sera le dernier acte de cet Empire, directement provoquée par l’implication des USA dans ce conflit [3], le temps d’obtenir la victoire (ensuite, ils abandonnèrent le pays pour le laisser, un temps, sombrer dans l’Islamisme radical).

Le troisième est que cet affaiblissement de l’URSS provoqua le basculement de sa zone d’influence, l’Europe de l’Est, dans le camp occidental. Une région que l’URSS avait largement soutenue et financée, et ce à quoi elle devra renoncer après 1991 et la catastrophe de Tchernobyl - un drame qui acheva de couler l’économie soviétique, décadente depuis le début des années 1980. Or, sans sa zone d’influence, le communisme soviétique, isolé et moribond, ne pouvait plus prétendre à se poser en alternative du consumérisme occidental.

Enfin, si dix ans auparavant (en 1982 - 1984), la Chine avait pris les devants en sortant progressivement d’un modèle socioéconomique strictement communiste, il s’agissait alors d’un pays sous-développé, tenu largement à l’écart des affaires du monde, qui cherchait une réponse à son impasse.

Un cul-de-sac similaire à celui que les Soviétiques constataient pour eux-mêmes, mais qu’ils ne parvinrent pas à dépasser.

Par conséquent, la véritable césure de l’époque contemporaine est bien intervenue de part et d’autre de la chute de l’URSS et de celle de son régime déshumanisant. Ensuite, la métamachine d’origine occidentale allait prendre le relais, dominer le monde et, par l’esprit de calcul qui l’anime, conduire à la victoire d’une déshumanisation généralisée d’un autre type.

L’époque actuelle, commencée en 1991, peut être en effet comprise sous ce rapport d’une déshumanisation amorcée un siècle et demi plus tôt, et qui est aujourd’hui en voie d’accomplissement.

Un temps que nous appelons : Le siècle du calcul.

C’est-à-dire celui du mariage de l’outil et de l’esprit de calcul. Puisqu’une époque se définit par son inspiration, qui est en réalité l’exacte inversion de sa préoccupation affichée [4] : aujourd’hui, le plaisir est énoncé comme l’obsession des contemporains plongés dans le consumérisme, mais ce qui l’inspire en réalité, ce sont les calculs de la métamachine. 

 

Afghanistan (1989)

 

[1] - En Occident, ce basculement a été réalisé au début des années 1960 : 50 % et plus des populations ont commencé de vivre en milieu urbain. En 2050 et pour le monde, cette proportion est estimée à 85 %.

[2] - En France, les projets d’informatisation massive ont débuté par la loi du 6 Janvier 1978, portant sur un système de traitement des données fiscales et sociales dénommé par cet acronyme indécent : SAFARI… Le journal Le Monde en a fait un scandale, et le texte a dû être amendé. In fine, tout a pourtant eu lieu.

[3] - Sous l’impulsion du député Charlie Wilson (1993 - 2010), représentant démocrate du Texas au Congrès des États-Unis. Il organisa, à partir des années 1980, le transfert de fonds secrets de la CIA vers la résistance afghane, au travers des services secrets pakistanais (ISI) qui servirent d’écran. L’opération consista notamment à l’achat d’armes destinées à abattre des hélicoptères russes qui causaient de lourds dommages à cette résistance. Le coût de programme colossal a été estimé jusqu’à 20 Md$.

[4] - Le Moyen Âge, prétendu sombre, fut en réalité lumineux d’intelligence. La Renaissance signa la mort des cités-États, mais vit la naissance des nations. Le XVIIe siècle fut celui des guerres de religion, en miroir d’un développement extraordinaire de la pensée. Le Siècle des Lumières fut, en pratique, celui des grands troubles. Enfin, si la période courant de 1815 jusqu’au milieu du XIXe siècle a été marquée par la volonté d’ordre, elle fut également l’une des plus inventives de l’Histoire.

 

Suite au prochain numéro

Déshumanisations

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