Les yeux des morts
De
Elsa Marpeau
(Editions Folio Policier) 2012
Lorsque nous sommes amenés à fréquenter les hôpitaux, et particulièrement les Urgences, c’est rarement de façon volontaire. Cela n’a vraiment rien d’une activité réjouissante et j’en connais beaucoup qui sont prêts à nier l’évidence plutôt que de s’y rendre. Je ne déroge pas à la règle, et pourtant je suis sur le point d’y aller de façon délibérée. Enfin, pas vraiment car les deux jours que je vais passer aux Urgences je les dois à Pierre Faverolle. Je tiens avant tout à rassurer mes admiratrices, il ne m’a pas démoli le portrait et je ne m’apprête pas à lui refaçonner le sien. Non en fait, c’est par son intermédiaire que j’ai fait la connaissance d’Elsa Marpeau. J’avoue avoir été très emballé par la chronique de Pierre au sujet de « L’expatriée ». N’ayant pas encore acheté ce roman, je me suis rabattu sur « Les yeux des morts » du même auteur paru en livre de poche.
Une grille, trois marches, l’entrée des urgences […] Entassés dans le hall, des gens assis sur des bancs en fer attendent leur admission. A l’intérieur, les tumeurs qui dévorent, les virus qui s’étendent, les artères bouchées. Et puis les meurtres. Que représentent deux morts de plus dans cette guerre quotidienne, dissimulée derrière les murs de l’hôpital ? Rien, sauf pour Gabriel Ilinski, le technicien de scènes de crime appelé sur les lieux. Il est le seul à ne plus pouvoir les oublier. Tout, y compris son amour pour une femme, médecin, le ramène à l’hôpital Lariboisière. Il ira jusqu’à se faire admettre aux urgences pour mener son enquête dans les entrailles souffrantes de la ville.
Les yeux des morts est un roman déroutant dans un Paris âpre et nocturne habité par les oubliés et les exclus. Avec ce premier roman à paraître en Série Noire qui conjugue enquête clinique et histoire d’amour toxique, Elsa Marpeau fait une entrée remarquable sur la scène littéraire française.
Elsa Marpeau a grandi à Nantes, avant de venir s’installer à Paris pour ses 18 ans après avoir répondu à une petite annonce matrimoniale du Nouvel Observateur. Pour y occuper ses journées, elle signe une thèse sur les mondes imaginaires dans le théâtre du XVIIe siècle et enseigne cinq ans à Nanterre.
On entre dans ce roman, comme notre héros entre aux Urgence : volontairement mais avec un peu d’appréhension. Cependant, le franchissement du seuil est merveilleusement facilité par le talent de l’auteur. Jouant des règles d’admission en milieu hospitalier et de la supposée vision que l’on a de sa vie avant la mort, Elsa nous dresse un portrait très imagé de notre sacrifié volontaire et du théâtre de sa quête de vérité.
Ne nous y trompons pas, plus qu’un roman policier, « Les yeux des morts » est avant tout une chronique sociale. Celle d’un monde à part : la faune des Urgences, celle qui est à l’image de la rue. Pas celle des grands boulevards et de ses magasins de luxe mais plutôt celle des accidentés de la vie et des laissés pour compte. Comment traiter un tel sujet sans tomber dans le misérabilisme ? Tout simplement en le traitant à la manière d’Elsa Marpeau. Elle semble bien connaitre ce dont elle parle, ce qui lui permet d’aller à l’essentiel. Et cet essentiel c’est l’âme humaine. Avec un style bien à elle, elle croque nos personnages au-delà de leur apparence. A Lariboisière, comme ailleurs sans doute, n’est pas malade qui veut. On semble parfois vouloir l’oublier, mais très vite la réalité nous rappelle à l’ordre et l’abnégation d’un personnel compatissant se transforme en un semblant d’indifférence. C’est dans cet univers que Gabriel va tenter de résoudre son enquête.
Car « Les yeux des morts » est aussi une enquête policière. Une enquête en immersion dans un milieu qui pourrait très vite devenir hostile. D’autres avant Elsa s’y sont essayés avec grand talent. Personne ne peut avoir oublié « Shock corridor » ou « Vol au-dessus d’un nid de coucous » et c’est là justement que le bât blesse. Car sans véritable risque, il n’y a point de suspense. Comme vous l’aurez compris, les accrocs purs et durs du polar n’y trouveront pas leur compte et c’est bien regrettable car dans l’ensemble, la lecture de ce roman s’avère bien agréable.