22 août 2017 2 22 /08 /août /2017 15:19

 

Jerry, un prénom qui s’impose

Ou

L’inoubliable zinzin d’Hollywood

(Nicolas Gauthier)

 

 

Jerry Lewis vient de lâcher sa dernière grimace à 91 ans, âge qu’aurait eu Marilyn Monroe si elle avait encore été de ce demi-monde. Aux USA, les Américains aimaient à blaguer sur ce thème : « Il n’y a vraiment que vous, les Français, pour porter cet histrion au pinacle ! »

Il est vrai que la France est une éminente nation cinéphile. Il n’y a que François Truffaut pour disséquer l’œuvre d’Alfred Hitchcock alors que, de l’autre côté de l’Atlantique, il n’est tenu que pour aimable faiseur de films à suspense. Il n’y a aussi qu’un Bertrand Tavernier pour considérer Clint Eastwood comme auteur à part entière, tandis que là-bas, il n’est jamais que manieur de Magnum 44 – le plus puissant soufflant au monde, tel qu’affirmé dans le pré-générique du Magnum Force de Ted Post, deuxième opus des aventures de l’inspecteur Harry.

Pour donner une simple idée du niveau local, le plus gros succès de l’ami Clint n’est autre que Doux, dur et dingue, bouse consternante dans laquelle il donne la réplique à un orang-outang… De manière très logique, Jerry Lewis faisait donc figure, à Hollywood, de simple clown propre à faire rire éternels petits et grands demeurés. Tout aussi logique pour un peuple dont le seul hebdomadaire consacré au septième art se nomme « Variety » et se contente de compter les millions de dollars gagnés ou perdus. Ce n’est pas pour entonner le tango du cocorico, mais en cette France symbolisant à elle seule Vieux Monde et ancienne Europe, « de Mad Movies aux Cahiers du cinéma, de Starfix à Positif », ça alignait tout de même un peu plus de neurones et de divisions !

 

 

Jerry Lewis, donc. Pitre à figure élastique et physionomie caoutchouteuse, inventa à lui seul un univers, tels Charlie Chaplin, Laurel et Hardy ou Buster Keaton en leur temps. Un simplet qui, voulant bien faire, ne causait que catastrophes autour de lui. Certes, sa carrière tint plus souvent du champ de navets que du caviar sur canapé, même s’il convient de sauver de l’oubli des pépites telles que « Trois bébés sur les bras », « Le dingue du palace » ou « Le zinzin d’Hollywood », par ses soins réalisés : Jerry Lewis était un metteur en scène très sous-estimé, même si tout le petit monde de la critique, à juste titre d’ailleurs, s’accorde à saluer l’inoubliable « Docteur Jerry et Mister Love », relecture pop et foutraque du classique de Robert Louis Stevenson, L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, à l’occasion duquel il tient à la fois le premier rôle, devant comme derrière la caméra.

Film éminemment représentatif de la personnalité du défunt ? Un peu, sûrement, puisque capable, à quelques années d’écart, de tenir à bout de bras son film maudit, « The day the clown cried » (1972), tout en panouillant, en 1984, dans le non moins maudit « Par où t’es rentré… on t’a pas vu sortir », du très oubliable Philippe Clair.

Dans le premier, il incarne ce clown interné dans un camp de concentration et qui tente de faire rire de petits enfants juifs avant extermination programmée. Ce film, qui préfigurait le très édulcoré « La vie est belle » de Roberto Benigni et le bouleversant « Effroyables jardins » de Jean Becker, causa un tel scandale que le film fut interdit de diffusion, avant d’être enterré à la Librairie du Congrès de Washington.

Dans le second, mis en scène d’un pied gauche distrait par Philippe Clair, expert en bidasseries et topless tropéziens, bienvenue dans la comédie pouet-pouet patahouète. La distribution donne le vertige : Jackie Sardou, Philippe Castelli, Marthe Villalonga et Sophie Favier. Soit la face Hyde du Jekyll venant de nous quitter. Mais bon, quelle rigolade, dans le registre du petit plaisir coupable et chafouin…

 

 

Pour mémoire, on préférera se rappeler l’émouvant hommage rendu par Jerry Lewis, le 2 février 1980, à Louis de Funès, salle Pleyel à Paris, alors que ce dernier recevait un César d’honneur pour l’ensemble de sa prodigieuse carrière. Eh oui, et c’est ainsi, snobé en son pays d’adoption, notre Fufu national était vénéré à Hollywood : Woody Allen le tenait pour un géant, ne comprenant pas pourquoi il n’était pas plus célébré en nos contrées, et Charlie Chaplin rêvait de lui donner la vedette de cet ultime film qu’il ne parvint jamais à concrétiser.

La vie est parfois mal faite.

En attendant, continue de bien tenir la rampe, Jerry !

 

 

 

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17 août 2017 4 17 /08 /août /2017 19:30

 

Ne racontez pas d’histoire

Ou

Quand la presse fabrique son Lee

(Pierre Terrail)

 

 

Charlottesville, 2017 : une manifestation d’union des droits placée sous le patronage symbolique du général sudiste Lee (1807-1870) tourne au drame. L’émotion face à cette tragédie est légitime ; la réécriture de l’Histoire par la presse qui a suivi l’est un peu moins.

En effet, si l’on en croit la presse, Robert Lee, commandant sudiste pendant la guerre de Sécession, serait un odieux raciste, fier partisan de l’esclavage. Or, rien n’est plus faux.

Victorieux au Mexique, cité pour bravoure à de maintes reprises, Lee est, à la veille de la guerre de Sécession, admiré et respecté pour ses grandes vertus – on le surnommera « l’homme de marbre ». Fort logiquement, dès l’entrée en guerre, les deux camps se l’arrachent. Hostile à la sécession et plus proche des idéaux du Nord – Lee avait libéré ses esclaves et défendait des positions progressistes -, il choisit néanmoins de rejoindre les armées confédérées par fidélité à sa région d’enfance.

Engagé à la tête d’une armée débraillée, il se lance dans une guerre perdue d’avance. Malgré des victoires héroïques et des épisodes dignes des Thermopyles, Lee finit par comprendre que la défaite est inévitable. Soucieux de préserver l’intégrité et l’honneur du Sud après la défaite, il capitule à Appomattox, comptant sur la clémence du Nord.

Après cette défaite, le héros de guerre, partisan hardi de la réconciliation entre le Nord et le Sud, milite donc aux côtés des démocrates pour une reconstruction commune. Il se réjouit publiquement de l’abolition de l’esclavage et renouvelle son serment d’allégeance à la Constitution américaine. Devenu président d’université, il mène une politique volontariste, excluant systématiquement les élèves coupables de violences racistes.

Celui qui était « un ennemi sans haine, un soldat sans cruauté, un vainqueur sans oppression, et une victime sans murmure » meurt en 1870. Il deviendra un symbole car il faisait partie de ces hommes qui, comme le général Jackson – un officier sudiste, proche de Lee, qui donnait des cours du soir aux Noirs -, avaient rejoint le camp des vaincus par loyalisme plus que par idéal.

 

 

Était-il militant afro-féministe ? Organisait-il des camps « décoloniaux » ? Avait-il « checké » ses « privilèges » d’homme blanc hétérosexuel ? Non. Était-il raciste selon les critères actuels ? Oui (son paternalisme bienveillant le condamnerait aujourd’hui à la mort sociale), de même que Rousseau, qui n’utilisait pas « l’écriture inclusive », serait taxé de sexisme. Le progrès est de toute façon toujours en avance sur son temps, Lee était, lui, en avance sur le sien. Il était, pour l’époque, un homme d’une grande modernité et d’une rare valeur. Comme Erwin Rommel après lui, il était de ces militaires pour qui le devoir n’est rien sans la vertu.

Comment expliquer que cet architecte de la réconciliation soit aujourd’hui calomnié par la presse ? La raison est simple : si Lee était un monstre, alors ceux qui osent aujourd’hui soutenir sa mémoire sont forcément le mal incarné. Or, ce raccourci s’appuie, comme nous l’avons montré, sur une négation orwellienne de l’Histoire. Une stratégie d’autant plus stupide que les groupes gravitant autour du KKK offrent déjà suffisamment de raison de les critiquer pour qu’il n’y ait besoin d’en créer de nouvelles.

La vérité sur ce damné du progrès étant rétablie, réaffirmons deux principes : ce droit qu’ont les héros d’être défendus par autre chose que des allumés à capuchons blancs ; et ce droit que nous avons de défendre la mémoire des héros sans être taxés de racistes ou de réactionnaires. Sans cela, les morts le sont en vain.

 

 

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16 août 2017 3 16 /08 /août /2017 17:41

 

La révolution d'un siècle

Ou

Good morning Rock & Roll

Entretien

(Jean Talabot avec Jean-Pierre Danel)

 

 

Il y a quarante ans, le 16 août 1977, le « King » s'éteignait, laissant le rock'n'roll endeuillé de son plus grand pionnier. Le guitariste, producteur et historien du rock Jean-Pierre Danel lui a consacré deux ouvrages. Il nous explique ici la révolution culturelle qu'a provoquée le chanteur de Jailhouse Rock.

Quarante ans après la mort du « King », le 16 août 1977 à l'âge de 42 ans, l'Amérique célèbre toujours Elvis Presley. Avec plus d'un milliard d'albums écoulés, Elvis est considéré comme l'artiste ayant le plus vendu de disques de l'histoire de la musique et en 2016, il se classait encore 4e des célébrités mortes produisant le plus de revenus, selon le magazine Forbes avec un million d'albums écoulés cette année-là pour 27 millions de dollars rapportés.

Jean-Pierre Danel, guitariste, producteur et historien du rock, a consacré deux ouvrages à cette figure emblématique du rock'n'roll: Elvis Presley intime: L'icône perdue (éditions Contre-Dires), paru en 2013 et La Légende du King: Elvis Presley (chez Courcelles Publishing), publié trois ans plus tôt. Il nous explique comment « Elvis » a provoqué une révolution culturelle sans précédent.

 

 

Des dizaines de livres ont été publiés sur Elvis. Pourtant, vous en avez écrit deux. Y a-t-il encore quelque chose à apprendre du « King » ?

Tout a été dit en effet, et, contrairement à ce que l'on pense, sa vie n'a plus de zones d'ombre pour les spécialistes ou le grand public. Mais je pense qu'il faut sans cesse réactualiser le sujet, remettre le mythe en circulation, notamment pour que les jeunes générations n'oublient pas ce qu'il a apporté et le phénomène culturel qu'il a été.

Avant d'être le roi du rock, Elvis s'est voulu un artiste pour la jeunesse ?

Bien sûr! Jusqu'à son premier album en 1954, les jeunes écoutaient encore les idoles de leurs parents, comme Franck Sinatra. Il n'y avait alors pas « d'artiste jeune pour les jeunes ». Lui a été le premier à porter leur voix et leurs aspirations de liberté, de libération face à tous les carcans sociétaux de l'époque. On ne pouvait pas passer de Sinatra aux Doors en un claquement de doigt! Lui l'a fait. Il y a une Amérique avant et après Elvis. La jeunesse, en se découvrant un porte-étendard, a commencé à exister avec lui.

 

 

Comment a-t-il concilié la « musique noire » et la « musique blanche », encore très distinctes dans les fifties ?

Il s'est emparé de la musique dite « noire », alors qu'on était encore en pleine ségrégation. Il adorait le gospel, et il s'est distingué en jouant du blues et du rhythm ‘n' blues. À l'époque, les blacks jouaient pour les blacks, et les blancs pour les blancs. Lui a cassé tout ça, ce qui lui a posé beaucoup de problèmes, certains blancs lui reprochant de jouer une autre musique, et les blacks, de s'approprier la leur. Mais je pense qu'Elvis a même joué un rôle social sur l'apartheid, tant son influence culturelle a été forte. Il est allé jusqu'à permettre la reconnaissance de la « musique noire », et l'explosion de mecs comme Chuck Berry ou Little Richard. Quand on vend 800 millions de disques, l'industrie musicale est forcée de s'intéresser à la musique noire!

Dès lors, peut-on le considérer comme le « premier rockeur » ?

Techniquement, non. Il y avait déjà des mecs qui jouaient ce qu'il est convenu d'appeler du « rock'n'roll », comme Ike Turner. Mais ces artistes n'étaient reconnus qu'à un niveau local. Elvis, lui, fut le premier à incarner le rock'n'roll sur la scène internationale! Bien qu'il ait conservé les accords du blues - qui sont restés les mêmes dans le rock - tout ce qu'il incarnait était nouveau. Ses chansons ont apporté, tout d'un coup, une musique bien plus rythmée que d'habitude. Il est devenu le catalyseur d'une musique qui fait du bruit. On ne s'en rend pas compte, mais pour les années 50, son arrivée correspond au débarquement fracassant des punks dans le rock anglais, bien des années plus tard! Une révolution qui est en partie due au fait que son premier album coïncide avec l'arrivée sur le marché des guitares telecaster et stratocaster de Fender. Dès lors, les musiciens - qui utilisaient auparavant des guitares de jazz creuses et « fragiles » - ont pu jouer plus fort, sans crainte du larsen (phénomène de rétroaction acoustique provoquant un bruit désagréable). Et puis il ne faut pas oublier qu'il avait surtout une voix extraordinaire, unique, qu'il était simplement un grand chanteur, avec beaucoup de talent.

 

 

Sa conduite sur scène a également beaucoup joué...

Plus qu'on ne le croit. Il a apporté ses fameux déhanchements, très suggestifs, voire sexuels, sur scène. Cela a été considéré comme une attitude extrêmement provocante à l'époque. Jusqu'en 1956 à la télévision, il était cadré jusqu'au niveau de la ceinture, pas plus bas! Durant ses concerts, un car de policiers le surveillait, prêt à l'embarquer au moindre faux pas. Les programmateurs de radio, surtout dans le sud des États-Unis, voyaient en lui la musique du diable, et voulaient l'interdire. Mais il a été tellement censuré que, paradoxalement, il a suscité l'adoration de toute une frange de la population.

Jusqu'à devenir, malgré lui, un phénomène culturel mondial, dépassant toutes les frontières...

Il y a eu trois phénomènes extraordinaires au XXe siècle, qui ont largement dépassé le stade de la musique: Elvis, les Beatles et Mickael Jackson. Et Elvis fut le premier. D'abord, il était beau gosse et plaisait aux filles. Les mecs voulaient donc lui ressembler. Il est devenu un phénomène de mode. De la coupe de cheveux des mômes, à la gomina, aux blousons en cuir et aux motos, tout vient de lui. C'était un exemple, même ses déhanchements sous-entendaient la libération sexuelle pour la jeunesse! Un de ses amis rapporte qu'un jour, alors qu'il se tenait la tête dans les mains, assis au bord de son lit, il eut ses paroles: « Il doit bien y avoir une raison pour laquelle j'ai été choisi pour être Elvis Presley... » On n'imagine pas à quel point il a redessiné l'Amérique. Toutes les théories du complot ridicules sur sa mort démontrent bien l'impact qu'il a pu avoir. Certains pensent qu'il était le fils du Christ, et qu'il a été enlevé par des extraterrestres!

 

 

Sa vie, pourtant, n'était pas si « sex, drugs and rock'n'roll » ?

Non, sa vie était plutôt morne. Il a connu des frustrations dans sa vie privée et artistique, et a énormément souffert de sa célébrité. Rendez-vous compte, il y avait de son vivant un boulevard Elvis Presley en face de chez lui! Or, « The King » était quelqu'un de calme. C'était un romantique plus qu'une bête de sexe. Il a eu un problème avec les médicaments et non avec les drogues. Mais sa mort a eu un côté « tragédie grecque », et a apporté le côté mythologique que détient toute légende.

Que reste-t-il d'Elvis Presley aujourd'hui ?

C'est très dur à dire, tant son héritage musical s'est dilué au cours des ans. On ne peut pas dire que U2 a été influencé par Elvis. Mais l'on peut dire que U2 a été influencé par les Beatles qui ont eux-mêmes suivi Elvis. Scéniquement, il a créé le statut de la rock star: regardez les costumes de Morrison ou les pas de dance de Mick Jagger! Je dirais que l'ADN du King est présent dans tous les albums de pop/rock et même de punks qui sont depuis sortis. Il a marqué le siècle, jusqu'à dépasser les frontières du rock et devenir plus globalement un emblème de l'Amérique, ce pays qui au départ l'avait considéré comme inacceptable...

 

 

 

 

 

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