12 février 2013 2 12 /02 /février /2013 14:37

 

L'été de cristal de Philip Kerr

 

Philip Kerr

 

Le livre de poche (1989)

 

Certains rendez-vous sont reportés sans qu’on ne sache vraiment pourquoi. L’idée d’une rencontre avec Philip Kerr et sa trilogie berlinoise m’avait pourtant séduite sur le moment mais, happé par d’autres lectures, je l’ai remise à plus tard. A l’occasion d’une visite sur « Black Novel », un des blogs incontournables pour qui aime le polar, j’ai pu lire une chronique traitant du dernier roman de Philip Kerr « Vert de gris ». En échangeant quelques mots avec Pierre Faverolle, le maître des lieux, j’ai compris que le moment était venu de m’y plonger sans plus tarder. 

La trilogie berlinoise est le fruit des recherches d’un auteur sur une période de l’histoire qui aura bouleversé la vie de nombreuses personnes. C’est un doux euphémisme d’énoncer cela, lorsque l’on sait toute la misère et la souffrance qu’aura engendré l’avènement du IIIème Reich. Ne trouvant pas les réponses à ses interrogations, l’auteur s’est mué en véritable détective, parcourant les archives et enquêtant sur le théâtre des opérations. Philip Kerr confiera plus tard dans une interview que l’idée de faire de son héros un détective privé lui était venue au souvenir de toutes ces heures passées à rechercher la vérité. Trois romans composent cette épopée berlinoise, « L’été de cristal », « La pâle figure » et « Un requiem allemand », couvrant une période s’étalant de 1936 à 1947. 

 

Philip Kerr - 01 - L'été de cristal

 

Vétéran du front turc, ancien de la police, Bernie Gunther, trente-huit ans, est devenu détective privé, spécialisé dans la recherche des personnes disparues. Bernie ne se plaint pas. Les disparitions sont monnaie courante à Berlin, en 1936, et il ne manque pas de clients… Mais aujourd’hui, Hermann Six, le puissant industriel qui engage Bernie, ne cherche pas à trouver sa fille : celle-ci a été assassinée chez elle, ainsi que son mari. Non, ce qui intéresse Herr Six, ce sont les bijoux qui ont disparu du coffre-fort… A la veille des Jeux Olympiques, tandis que les S.A. se chargent de rendre la ville « accueillante » aux touristes attendus, Bernie se met en chasse. Et cet été-là, l’ordre nouveau qui règne sur l’Allemagne va se charger de faire voler en éclats le peu d’illusions qui lui reste…

 

Philip Kerr - 02 - L'été de cristal

 

La première réflexion que j’ai eue en refermant ce premier volet « L’été de cristal » est que ce roman mériterait grandement d’être porté à l’écran. En effet, nous avons ici tous les ingrédients nécessaires à l’élaboration d’un bon scénario. L’histoire bien entendu, la grande, celle qui aura marqué à jamais les esprits mais aussi celle vécue au quotidien par tout un peuple. Un décor, cette ville de Berlin et son climat d’inquiétude dont l’auteur a su tirer profit en en faisant un personnage à part entière. Et enfin,  des protagonistes au nom parfois célèbre se croisant au rythme de l’enquête menée par notre désinvolte privé. Quant à la partition musicale, inspirée par le ton ironique des dialogues, ce pourrait être une orchestration de jazz, bluesy à souhait, dissimulant son origine « douteuse » derrière un paravent de respectabilité aryenne ? 

 

Le journal Der Stürmer

Le journal Der Stürmer

 

Le roman de Philip Kerr débute donc en 1936 durant les jeux olympiques de Berlin. Son héros Bernhard Gunther, Bernie pour les intimes et détective privé pour qui le paye, est chargé par un magnat de l’industrie de retrouver des bijoux volés. Privé solitaire et incorruptible, cynique au grand cœur affublé d’un feutre gris et d’un imper, baladant sa désinvolture lucide dans un monde où se côtoient crime, femmes fatales, flics ou politiciens véreux, cela ne vous rappelle rien ? Mais oui mais c’est bien sûr … Bernie est un cousin germain de Philip Marlowe tentant de résoudre une affaire qui se complique au fur et à mesure de ses investigations. Plongé dans une société en plein bouleversement, notre héros au travers de ses pensées et de ses réflexions, nous amènera à vivre les rivalités des hauts dignitaires du parti nazi, les difficultés économiques vécues par tout un peuple, mais aussi la nouvelle condition faite aux femmes allemandes, la chasse aux juifs et aux homosexuels et pour finir l’atrocité  du  premier camp de concentration. Au travers de tous ces évènements, ce sont les rouages de la mécanique nazie en marche qui nous seront dévoilés.

 

Hanomag - 1934

Hanomag - 1934

 

Merci à Philip Kerr, merci à Sally ma bienaimée et merci encore à Pierre Faverolle, pour avoir écrit, acheté et inciter à lire « L’été de cristal », un roman éloquent et d’une lecture abordable par tous. A mon tour je voudrais transmettre le flambeau et vous dire en toute simplicité « Bienvenue dans l’enfer ordinaire du IIIème Reich ».

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18 janvier 2013 5 18 /01 /janvier /2013 20:54

 

Les 500 de Matthew Quirk

 

Les 500 - Matthew Quirk - 01

 

Traduit par Hubert Tézenas (Le cherche midi) 2012

 

     Dans l’œuvre romanesque de George P. Pelecanos, la ville de Washington nous apparait comme un personnage à part entière qui vibre et respire au rythme de ses petites gens. Avec les 500, Matthew Quirk déchire le rideau du Washington officiel et nous fait découvrir la ville où siègent les élus. En d’autres termes la ville des puissants, faite de jeux de pouvoir et de sphères d’influence. L’auteur, dont c’est le premier roman, nous annonce la couleur d’entrée de jeu, ce qui va suivre n’a rien d’une sinécure. Vu la situation du héros à l’instant précis où débute la fiction, nous voulons bien le croire. Mais, au risque de vous dévoiler le pot aux roses, je préfère laisser l’éditeur vous mettre au parfum.

 

Les 500 - Matthew Quirk - 02

 

     Mike Ford est un jeune étudiant en droit à Harvard. Lors d’un séminaire, il fait la connaissance du professeur Davies, figure légendaire de Washington DC. Après avoir collaboré avec les présidents Johnson et Nixon, celui-ci a fondé sa propre société de lobbying, le Davis Group, qui bénéficie dans le monde politique et les milieux d’affaires du réseau d’influence le plus important de la ville. En font partie ceux que l’on appelle communément « les 500 », les cinq cents hommes les plus puissants de Washington. Davies, séduit par le talent naissant du jeune homme, lui propose de rejoindre sa société. Endetté, Mike, dont le père, un brillant escroc, végète en prison, ne peut refuser cette offre inespérée. 

      Au fil des mois, il s’initie  aux arcanes de la politique américaine et apprend les codes et les lois impitoyables qui régissent le lobbying. Mais bientôt, il découvre aussi la face sombre du Davies Group et se demande s’il n’a pas vendu son âme au diable. Lorsqu’il comprend que son recrutement ne doit rien au hasard  mais qu’il est lié à une raison beaucoup plus secrète et personnelle, une redoutable partie d’échecs commence. Seul face au groupe, face à Davies, Mike va devoir maîtriser, comme son père par le passé, l’art subtil de la manipulation, et se montrer le plus malin afin de battre son mentor à son propre jeu.

 

Les 500 - Matthew Quirk - 03

 

    Aux Etats-Unis le lobbying est élevé au rang d’institution. Protégé par la loi, il est admis comme faisant partie intégrante de la liberté d’expression. Bien entendu il est soumis à des règles bien précises qui, si elles ne sont pas suivies, peuvent conduire à des sanctions pouvant aller jusqu’à  la prison. C’est donc dans cet univers pouvant se révéler impitoyable qu’évoluent nos personnages.

 

La barre Halligan

La barre Halligan

 

     Au premier abord, le thème n’a rien de bien original. Un thriller bien ficelé dont le cinéma américain sait si bien s’emparer. Cependant, le choix délibéré de l’auteur de nous faire vivre cette partie de poker menteur à travers le regard et les pensées de notre jeune héros, nous captive d’entrée de jeu. Ses hésitations et ses maladresses nous le rendent sympathique et font de ce garçon à l’avenir prometteur, bien qu’incertain, un personnage auquel on s’identifie aisément. L’expression anglaise qui dit « Ne jugez pas un livre à sa couverture » s’applique ici doublement. Au premier degré bien sûr, mais aussi pour ces protagonistes. L’honnêteté ne se situe pas toujours là où l’on s’attend à la trouver. Coincé entre un passé de non-dits et un avenir flamboyant, Mike Ford vit un présent agité. Le bien, le mal, le sens que l’on veut donner à sa vie, l’idée que chaque homme à un prix sont les moteurs de l’intrigue.

     Matthew quirk a vraiment le sens du rythme et le savoir faire pour scotcher son lecteur. La lecture de son premier roman est réellement captivante. Toutefois, j'emettrais un petit regret. Le dénouement de l’histoire n’est pas, à mon avis, aussi surprenant que l’on pouvait l’espérer. Un bon thriller à lire pour les amateurs du genre. 

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5 décembre 2012 3 05 /12 /décembre /2012 23:25

 


                           La découverte d'un grand romancier
         
           C'est en discutant avec mon frangin que j'ai découvert George P. Pelecanos. La façon dont il m'avait raconté "Hard revolution", m'avait donné non seulement une sacrée envie de lire le roman, mais aussi le désir profond d'en savoir plus sur le personnage qui en était l'auteur. On nous présente habituellement la ville de Washington comme uniquement la capitale des Etats-Unis et le siège de la Maison Blanche, oubliant de préciser que c'est un des endroits les plus violent d'Amérique. Les inégalités y sont d'autant plus frappantes que l'on peut y voir se côtoyer le siège du pouvoir le plus puissant de la planète et les ghettos les plus sordides. Pelecanos a grandi du coté noir de la ville. Il la connaît sur le bout des doigts, il l'a arpentée de long en large, jusqu'au plus perdu des terrains vagues. Fils d'émigrés grecs, il a vécu son enfance, coincé entre les blacks qui faisaient de lui un sale petit blanc et ces petits blancs justement qui lui renvoyaient l'image d'un basané. George est aussi un observateur, peu bavard, un peu taciturne. Il emmagasine les images, les digère et enfin les restitue à travers ses romans à l'image d'un Martin Scorsese au cinéma ou d'un Bruce Springsteen dans la chanson.



          Pelecanos aime les gens cela se sent, il aime ses personnages, et s'il fait preuve à leur égard d'une grande sensibilité, on ne perçoit pas chez lui la moindre tentation de verser dans le politiquement correct. Ses personnages sont à l'image de l'être humain, jamais totalement bon, ni totalement mauvais. Héros du quotidien ou pauvres bougres tournant mal, tous tentent de vivre ou de survivre dans ce monde ou chaque geste n'est jamais anodin. Les romans de George P. Pelecanos sont avant tout des peintures sociales de la société américaine. Bien plus que de vrais polars, ce sont des oeuvres romanesques dont le souffle puissant nous transporte littéralement. En lisant Hard revolution, j'ai partagé la vie de ces petites gens, ceux que l'on montre à la télévision lorsqu'ils sont victimes ou bourreaux, quand ils brûlent des voitures ou sont tués lors d'un cambriolage. En somme de simples histoires individuelles qui se fondent admirablement dans la trame de la grande histoire d'un pays.


          Avec Hard Revolution, George P. Pelecanos nous fait revivre une période clé de l'histoire contemporaine des Etats-Unis, de 1958 à 1968 en passant par la guerre du Vietnam et les profondes blessures qu'elle engendre, jusqu'à l'assassinat de Martin Luther King qui déclenche l'embrasement de la capitale. Son talent, son sens du détail, du portrait et des dialogues, son regard critique mais aussi profondément humain, ses nombreuses références musicales et cinématographiques réussissent à faire ressurgir toute l'ambiance électrique de cette époque. Sans manichéisme, il dresse le portrait des habitants des quartiers populaires de Washington, et met en parallèle le quotidien de groupes de jeunes blancs et de jeunes noirs, donnant vie à des personnages attachants criants de vérité, et apporte un éclairage sur l'enfance, l'adolescence et les débuts de flic de son privé Derek Strange. Ce récit particulièrement dense vous prend aux tripes, son réalisme est saisissant, poignant et chargé d'émotions. Alors, même si vous n'êtes pas amateur de polars, laissez vous tenter par la lecture de Hard revolution et vous verrez, que tout comme moi, vous vous laisserez happer par sa puissance évocatrice.  
  

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