16 août 2017 3 16 /08 /août /2017 17:41

 

La révolution d'un siècle

Ou

Good morning Rock & Roll

Entretien

(Jean Talabot avec Jean-Pierre Danel)

 

 

Il y a quarante ans, le 16 août 1977, le « King » s'éteignait, laissant le rock'n'roll endeuillé de son plus grand pionnier. Le guitariste, producteur et historien du rock Jean-Pierre Danel lui a consacré deux ouvrages. Il nous explique ici la révolution culturelle qu'a provoquée le chanteur de Jailhouse Rock.

Quarante ans après la mort du « King », le 16 août 1977 à l'âge de 42 ans, l'Amérique célèbre toujours Elvis Presley. Avec plus d'un milliard d'albums écoulés, Elvis est considéré comme l'artiste ayant le plus vendu de disques de l'histoire de la musique et en 2016, il se classait encore 4e des célébrités mortes produisant le plus de revenus, selon le magazine Forbes avec un million d'albums écoulés cette année-là pour 27 millions de dollars rapportés.

Jean-Pierre Danel, guitariste, producteur et historien du rock, a consacré deux ouvrages à cette figure emblématique du rock'n'roll: Elvis Presley intime: L'icône perdue (éditions Contre-Dires), paru en 2013 et La Légende du King: Elvis Presley (chez Courcelles Publishing), publié trois ans plus tôt. Il nous explique comment « Elvis » a provoqué une révolution culturelle sans précédent.

 

 

Des dizaines de livres ont été publiés sur Elvis. Pourtant, vous en avez écrit deux. Y a-t-il encore quelque chose à apprendre du « King » ?

Tout a été dit en effet, et, contrairement à ce que l'on pense, sa vie n'a plus de zones d'ombre pour les spécialistes ou le grand public. Mais je pense qu'il faut sans cesse réactualiser le sujet, remettre le mythe en circulation, notamment pour que les jeunes générations n'oublient pas ce qu'il a apporté et le phénomène culturel qu'il a été.

Avant d'être le roi du rock, Elvis s'est voulu un artiste pour la jeunesse ?

Bien sûr! Jusqu'à son premier album en 1954, les jeunes écoutaient encore les idoles de leurs parents, comme Franck Sinatra. Il n'y avait alors pas « d'artiste jeune pour les jeunes ». Lui a été le premier à porter leur voix et leurs aspirations de liberté, de libération face à tous les carcans sociétaux de l'époque. On ne pouvait pas passer de Sinatra aux Doors en un claquement de doigt! Lui l'a fait. Il y a une Amérique avant et après Elvis. La jeunesse, en se découvrant un porte-étendard, a commencé à exister avec lui.

 

 

Comment a-t-il concilié la « musique noire » et la « musique blanche », encore très distinctes dans les fifties ?

Il s'est emparé de la musique dite « noire », alors qu'on était encore en pleine ségrégation. Il adorait le gospel, et il s'est distingué en jouant du blues et du rhythm ‘n' blues. À l'époque, les blacks jouaient pour les blacks, et les blancs pour les blancs. Lui a cassé tout ça, ce qui lui a posé beaucoup de problèmes, certains blancs lui reprochant de jouer une autre musique, et les blacks, de s'approprier la leur. Mais je pense qu'Elvis a même joué un rôle social sur l'apartheid, tant son influence culturelle a été forte. Il est allé jusqu'à permettre la reconnaissance de la « musique noire », et l'explosion de mecs comme Chuck Berry ou Little Richard. Quand on vend 800 millions de disques, l'industrie musicale est forcée de s'intéresser à la musique noire!

Dès lors, peut-on le considérer comme le « premier rockeur » ?

Techniquement, non. Il y avait déjà des mecs qui jouaient ce qu'il est convenu d'appeler du « rock'n'roll », comme Ike Turner. Mais ces artistes n'étaient reconnus qu'à un niveau local. Elvis, lui, fut le premier à incarner le rock'n'roll sur la scène internationale! Bien qu'il ait conservé les accords du blues - qui sont restés les mêmes dans le rock - tout ce qu'il incarnait était nouveau. Ses chansons ont apporté, tout d'un coup, une musique bien plus rythmée que d'habitude. Il est devenu le catalyseur d'une musique qui fait du bruit. On ne s'en rend pas compte, mais pour les années 50, son arrivée correspond au débarquement fracassant des punks dans le rock anglais, bien des années plus tard! Une révolution qui est en partie due au fait que son premier album coïncide avec l'arrivée sur le marché des guitares telecaster et stratocaster de Fender. Dès lors, les musiciens - qui utilisaient auparavant des guitares de jazz creuses et « fragiles » - ont pu jouer plus fort, sans crainte du larsen (phénomène de rétroaction acoustique provoquant un bruit désagréable). Et puis il ne faut pas oublier qu'il avait surtout une voix extraordinaire, unique, qu'il était simplement un grand chanteur, avec beaucoup de talent.

 

 

Sa conduite sur scène a également beaucoup joué...

Plus qu'on ne le croit. Il a apporté ses fameux déhanchements, très suggestifs, voire sexuels, sur scène. Cela a été considéré comme une attitude extrêmement provocante à l'époque. Jusqu'en 1956 à la télévision, il était cadré jusqu'au niveau de la ceinture, pas plus bas! Durant ses concerts, un car de policiers le surveillait, prêt à l'embarquer au moindre faux pas. Les programmateurs de radio, surtout dans le sud des États-Unis, voyaient en lui la musique du diable, et voulaient l'interdire. Mais il a été tellement censuré que, paradoxalement, il a suscité l'adoration de toute une frange de la population.

Jusqu'à devenir, malgré lui, un phénomène culturel mondial, dépassant toutes les frontières...

Il y a eu trois phénomènes extraordinaires au XXe siècle, qui ont largement dépassé le stade de la musique: Elvis, les Beatles et Mickael Jackson. Et Elvis fut le premier. D'abord, il était beau gosse et plaisait aux filles. Les mecs voulaient donc lui ressembler. Il est devenu un phénomène de mode. De la coupe de cheveux des mômes, à la gomina, aux blousons en cuir et aux motos, tout vient de lui. C'était un exemple, même ses déhanchements sous-entendaient la libération sexuelle pour la jeunesse! Un de ses amis rapporte qu'un jour, alors qu'il se tenait la tête dans les mains, assis au bord de son lit, il eut ses paroles: « Il doit bien y avoir une raison pour laquelle j'ai été choisi pour être Elvis Presley... » On n'imagine pas à quel point il a redessiné l'Amérique. Toutes les théories du complot ridicules sur sa mort démontrent bien l'impact qu'il a pu avoir. Certains pensent qu'il était le fils du Christ, et qu'il a été enlevé par des extraterrestres!

 

 

Sa vie, pourtant, n'était pas si « sex, drugs and rock'n'roll » ?

Non, sa vie était plutôt morne. Il a connu des frustrations dans sa vie privée et artistique, et a énormément souffert de sa célébrité. Rendez-vous compte, il y avait de son vivant un boulevard Elvis Presley en face de chez lui! Or, « The King » était quelqu'un de calme. C'était un romantique plus qu'une bête de sexe. Il a eu un problème avec les médicaments et non avec les drogues. Mais sa mort a eu un côté « tragédie grecque », et a apporté le côté mythologique que détient toute légende.

Que reste-t-il d'Elvis Presley aujourd'hui ?

C'est très dur à dire, tant son héritage musical s'est dilué au cours des ans. On ne peut pas dire que U2 a été influencé par Elvis. Mais l'on peut dire que U2 a été influencé par les Beatles qui ont eux-mêmes suivi Elvis. Scéniquement, il a créé le statut de la rock star: regardez les costumes de Morrison ou les pas de dance de Mick Jagger! Je dirais que l'ADN du King est présent dans tous les albums de pop/rock et même de punks qui sont depuis sortis. Il a marqué le siècle, jusqu'à dépasser les frontières du rock et devenir plus globalement un emblème de l'Amérique, ce pays qui au départ l'avait considéré comme inacceptable...

 

 

 

 

 

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4 mars 2016 5 04 /03 /mars /2016 19:55

 

Humour et simplicité

Entretien

(Eric Libiot avec Gérard Depardieu)

 

 

À l'occasion de la sortie de Saint Amour, Gérard Depardieu a accordé à Studio Ciné Live, un entretien exclusif. Il y parle de cinéma, de sa carrière, de ses rencontres. Un grand acteur se dévoile avec humour et simplicité. Et quelques piques ici ou là...

Il est arrivé en scooter, nous a ouvert grand les portes de sa maison et a dit oui à tout. Aux photos ici, puis là, puis dans le jardin, puis pendant l'entretien; au changement de chemise sans râler, alors qu'on connaît des tonnes d'acteurs qui rechignent à juste remonter leurs chaussettes; au bavardage sur le cinéma à l'occasion de l'hommage que lui rend la Cinémathèque française et, surtout, de la sortie en salle, le 2 mars, de Saint Amour, de Benoît Delépine et Gustave Kervern, avec Benoît Poelvoorde, road-movie viticole et poétique d'un père et d'un fils sur les routes de France. Simple, touchant, décalé, souriant.

Interviewer Gérard Depardieu est une vraie fausse entreprise à risques. Il faudrait craindre les éclats de voix, les provocations, les emportements, les moqueries, les départs intempestifs au milieu d'une phrase. Pas du tout. L'homme est bienveillant et s'installe facilement et tranquillement dans la conversation. Il faut juste savoir que tout est possible. Que les digressions sont nombreuses, que le coq passe à l'âne, que la rencontre s'apparente à un long fleuve plus ou moins tranquille. 

Depardieu parle du cinéma, de la vie, de Blier et de... Jason Statham. Installez-vous et laissez-vous porter par le fil d'une parole libre et simple, celle d'un homme qui raconte une époque et se raconte lui-même.

 

 

Nous allons parler cinéma, Gérard. Vous n'avez rien contre ?

Non, pas vraiment. Enfin, bon. On va voir...

Il n'y a pas très longtemps, vous m'aviez dit que l'exercice ne vous plaisait pas vraiment ?

Le cinéma, il vaut mieux le voir. Godard en parle bien. Moi, non. Maurice Pialat ne parlait jamais cinéma. Jean Renoir, lui, évoquait le passage du noir et blanc à la couleur lié au travail de peintre de son père; c'était très beau. Finalement, les gens qui font du cinéma en parlent peu.

Avec Pialat, vous ne parliez pas cinéma! ?

Non, jamais. Ce qu'il aimait bien, c'était causer technique, objectifs. On ne le sait sans doute pas assez. Maurice adorait imaginer des plans séquences, par exemple. Ce qui le fascinait, c'était tout ce qui pouvait arriver pendant que la caméra tournait. La magie du cinéma. L'émotion qui ne se travaille pas. Qui échappe à tout le monde. Tout ça capté par un objectif, une lentille, une sorte de caillou pour ainsi dire.

Pialat aimait aussi attraper le temps. Son cinéma est moins nourri de dialogues que d'émotions. C'est évident dans Sous le soleil de Satan. Dans À nos amours également. Les émotions viennent dans ce fatras qu'est la construction d'un plan. Ce que personne ne peut prévoir et qui se transforme en émotion.

C'est peut-être l'un des paradoxes du cinéma: la nécessité de maîtriser une technologie très pointue pour capter quelque chose de mystérieux.

Oui, et ce quelque chose, ce mystère, je ne le ressens plus vraiment dans le cinéma d'aujourd'hui. Tout semble trop calculé. L'autre jour, je regardais Le fugitif, avec Harrison Ford. Le film n'a pas pris une ride. Il y a un charme, une simplicité... Alors que les films récents sont parfois déjà vieux. Trop d'images. Des acteurs trop présents. Moi, j'aime bien Jason Statham. Il ne rigole jamais, il est d'un bloc. Massif, minéral. Il fait un cinéma pas prétentieux. J'aime Bruce Willis, mais il est dans le chewing-gum maintenant. Statham, c'est du brut.

Je suis toujours encombré par les attitudes et les mimiques des comédiens. C'est le résultat de l'époque dans laquelle on vit. On n'est plus habitué à voir de longs plans. Ce qui ne veut pas dire que le cinéma d'aujourd'hui est mauvais. Disons qu'il se contente de peu. Il n'y a pas longtemps, j'ai revu Jeanne d'Arc, de Dreyer. C'est terriblement théâtral, captivant vingt minutes, après quoi je passe à autre chose, mais tout de même quel talent dans le plan, le cadre, la photo... Ça a de la gueule.

Vous passez donc de Dreyer à Statham sans aucun problème ?

Staham est un comédien dreyerien. Les acteurs bougent trop aujourd'hui. On sait tout de leur personnage avant qu'ils balancent une réplique. C'est dommage parce que le film en pâtit forcément.

 

 

Observez-vous la façon dont jouent les acteurs ou essayez-vous plutôt de suivre l'intrigue ?

J'essaye de percevoir ce qui échappe au cinéma. Ce qui m'émeut. Une caméra qui traîne, un plan qui flotte. Le problème, c'est que je vois le travail. Je sais immédiatement comment le truc est fabriqué. Du coup, le plaisir disparaît. Je vois la place de la caméra, le top départ de la figuration, le réalisateur devant son combo... Il n'y a que les mélos que j'adore, des trucs mielleux, genre romans photos.

Y a-t-il des films que vous avez détestés récemment ?

Oui, American Sniper, d'Eastwood. Je n'aime pas ces films où chacun joue à la guerre. Je préfère regarder les infos.

American Sniper parle aussi des grands perdants du rêve américain. Ce n'est pas uniquement un film de guerre ?

Là, vous virez intellectuel...

Comme si vous ne l'étiez pas ?

Pas au cinéma, en tout cas. American Sniper est une façon naïve de voir la guerre. Tout ce dont j'ai horreur.

Mais c'est du John Huston, le rêve dézingué...

Huston, oui. Eastwood, non. Je le préfère quand il fait l'acteur chez Sergio Leone. Il y a une distanciation avec le western qui fonctionne. Dans le genre film de guerre, je suis davantage amateur de La ligne rouge, de Malick.

Ou, puisque vous parliez de rêve américain, de There Will Be Blood, d'Anderson. Là, oui. Question plaisir de cinéma, je suis servi. Les acteurs peuvent en faire des tonnes, ça ne me dérange pas. Daniel Day Lewis ou Paul Dano sont dans l'hystérie absolue. C'est l'Amérique, la vraie, la cruelle, non pas celle qu'on voit dans American Sniper. Celle-là est vulgaire, pornographique même...

La cinémathèque française vous rend hommage...

Oui, j'ai entendu ça...

Vous êtes au courant quand même ?

Oui, Costa-Gavras m'a demandé de venir présenter des films, j'ai refusé. Je n'ai pas envie. Le milieu du cinéma est devenu politique, ça m'emmerde. Ils veulent me rendre hommage, je ne peux pas les en empêcher puisque je suis un personnage public, mais je n'ai pas du tout envie d'y participer. Ça me gonfle. Quand le cinéma arrêtera de se cirer les pompes, on verra. J'ai tourné dans deux cents films, je n'ai pas besoin de la cinémathèque. Les expositions de Renoir ou de Truffaut qu'elle a organisées étaient très réussies. Il vaut donc mieux être mort pour y aller.

Est-ce aussi parce que vous n'aimez pas regarder en arrière, vos films, votre carrière ?

Non, ce n'est pas ça. Je n'aime pas beaucoup revoir mes films, mais ça va. Le Chabrol par exemple, j'aime bien. Quand je revois Bellamy, il n'y a plus d'acteurs. Il y a un personnage: Chabrol. C'est un cinéma qui se regarde comme on lit un roman de Simenon. C'est simple. Intelligent. Chabrol fait partie de ces gens qui ne démodent pas le cinéma. Les histoires sont là, les acteurs ne chargent pas trop, il y a de la bonhomie séduisante.

Comment vous regardez-vous à l'écran ?

Je regarde surtout les autres et j'écoute une histoire. Ça passe par l'émotion. Mais je peux être ému par le personnage que j'interprète. Dans Cyrano de Bergerac, il y a des moments incroyablement émouvants. Aussi parce qu'il y a un cadre, un décor, et surtout une langue.

Et un acteur...

L'acteur, il peut faire ce qu'il veut, regardez dans les films de Godard...

Je ne parle pas de Godard, je parle de vous. Vous n'êtes pas mauvais dans Cyrano...

Il est difficile d'être mauvais dans Cyrano de Bergerac. Même Torreton est bon.

N'est-ce pas de la fausse modestie ?

Non, c'est vrai. On peut gesticuler comme Belmondo le faisait au théâtre, n'empêche que les mots de Rostand arrivent, touchent et s'arrangent avec la musique intérieure de chacun. Comme chez Rilke ou Bernanos.

Vous arrive-t-il de vous juger ? Tiens, là je suis bon, là, beaucoup moins...

Non, je ne suis pas suffisamment intéressé ni à ma personne ni au cinéma. Ce que j'aime dans un film, ce sont des moments. Il en faut six ou sept par films et ça me va.

 

 

Tout ce qu'on a pu écrire sur vous: « Un monstre de cinéma », « le plus grand acteur du monde », « il y a un avant et un après Depardieu », « il a révolutionné le jeu d'acteur ». Ça vous amuse ou ça vous intéresse ?

C'est lourd.

Lourd à porter?

Non, lourd dans le sens vulgaire. On parle davantage de moi quand je pisse dans un avion... Bon, ça fait un tout. C'est un mélange avec la vie qu'on me prête. Je veux bien entendre que de là où je viens, cette vie est surprenante. Que les mots que je dis puissent émouvoir les autres. Sans fausse modestie, quand on est dans la lumière et quand on est à ce point protégé, on ne va pas, en plus, se gargariser de compliments. Jouer la comédie, c'est le seul métier où on fait des hold-up sous protection de la police.

C'est bien résumé. Mais vous avez quand même une belle carrière. Vous passez de Duras à Zidi, de Godard à Sautet. Elle vous plaît cette carrière ?

J'ai une chance inouïe d'avoir rencontré tous ces gens sans forcément les comprendre et de faire partie de leur aventure artistique.

Sans les comprendre: c'est-à-dire ?

Parfois, Marguerite Duras était un peu ailleurs. Un jour que nous tournions Nathalie Granger, elle m'a dit: « Je vais changer ma raie de côté et je pense que ça aidera le personnage. » Elle se recoiffe et me demande comment elle est. Parfaite. Et on a rejoué la scène. Je n'ai pas vraiment compris mais ça m'a plu. Avec Bertolucci aussi, c'était une aventure. On a tourné pendant quinze mois.

Vous rendiez-vous compte que vous participiez à un film singulier ?

Oui, mais ce qui m'énervait le plus, c'était de parler anglais. Je ne comprenais rien à ce que me disait le coach. J'ai fini par y arriver. Mais je parle mieux l'anglais quand je le lis. Ou quand je l’entends à l'oreillette et que je le répète. Je suis plus musicien qu'acteur, finalement.

Voilà pourquoi vous utilisez une oreillette...

Elle ne me donne pas la note mais la partition. Après, c'est une question de respiration et de rythme.

Pour vous avoir vu sur un tournage avec vos fiches de dialogues étalées partout, vous avez une façon incroyable de lire un texte et de le restituer comme si vous l'inventiez sur le moment. Comment faites-vous ?

Beaucoup d'acteurs essayent mais n'y arrivent pas. Lire le texte, ce n'est pas être fainéant. Quand je tombe sur un type comme Blier, maniaque de la virgule, ce qui me va parfaitement, car je déteste l'improvisation, eh bien, je préfère lire mes dialogues pour ne rien oublier. Pour Cyrano, c'est autre chose: on a eu trois mois de répétition et le texte a le temps de rentrer. Dans ce genre de pièce, c'est le rythme des autres qui te donne le tien. Les vers à douze pieds, c'est magique. Pour un mec assoiffé comme moi, avoir douze vers à pied, c'est une régalade...

Donc cette oreillette...

J'ai fait ce métier pour ne pas travailler. Au final, j'ai travaillé trois fois plus que n'importe qui. J'ai d'abord dû me faire comprendre des autres, moi qui étais incapable d'entendre, donc de parler. J'ai découvert les mots et mon appétit était gigantesque. Les classiques du théâtre m'enchantaient. J'ai toujours été très sensible au texte et à la ponctuation.

Vous disiez que ce n'est pas la fainéantise: mais c'est quoi ? Vous vous sentez plus juste ?

Avec l'oreillette, je regarde les acteurs dans les yeux. Ce qui les trouble parfois, d'ailleurs. À tel point qu'ils en oublient le texte. Alors, j'évite de les regarder et je parle ailleurs.

Ils ont peur que vous les jugiez ?

Je ne sais pas, mais ça les trouble. Un acteur qui sait son texte, c'est fragile. S'il veut aussi le vivre, ça devient compliqué. J'imagine que le regard de l'autre l'empêche de le vivre justement. Au théâtre, j'ai joué Home avec Michael Lonsdale. Un soir, il s'est amusé à jouer en fermant les yeux. J'ai été incapable de me souvenir de mon texte.

Dans une autre pièce, Les gens déraisonnables sont en voie de disparition, de Peter Handke, j'ai tellement fermé les yeux que je me suis endormi... J'ai été réveillé par le silence. Mes partenaires étaient furibards. J'ai attendu, j'ai pris le temps, et j'ai recommencé à parler. Personne ne s'était rendu compte de rien vu que dans la salle, ça dormait aussi...

Vous avez tourné sept films avec Bertrand Blier. Est-ce un hasard si c'est avec lui que vous avez le plus travaillé ?

Bertrand faisait respirer le cinéma. Ça me plaisait. Il a une patte, une écriture et une grande maîtrise technique. Son esprit me touche. Caustique, émouvant. Il y a une souffrance pudique chez lui. On l'a traité de misogyne, il ne l'est évidemment pas. Regardez Trop belle pour toi. Mais il en a souffert. Comme Pialat. On l'a traité de tous les maux. Maurice, c'était un peintre. Il était coupé du monde. Une perpétuelle insatisfaction de son travail qui pouvait se traduire par un comportement très cru. 

Comment aimez-vous être dirigé ?

Je n'ai pas vraiment besoin d'être dirigé, en fait. Selon l'objectif, la lumière, la direction du rail de travelling, je sais exactement comment va se dérouler la scène. Donc, je sais comment la jouer. Je le fais malgré moi. J'ai appris ça très tôt, car j'ai toujours été curieux de tout. Quand on sait ces choses-là, on perd moins de temps.

La dernière fois qu'on s'est vus, vous m'aviez dit avoir tourné Les valseuses sans vous rendre compte que le film était nouveau et provocant. Difficile à concevoir quand on voit ce qu'était le cinéma français à l'époque.

On ne savait pas du tout ce que le film allait donner. On était loin de penser au succès. Avant, dans le même état d'esprit, il y avait eu Easy Rider et La vallée, de Barbet Shroeder. Deux histoires de défoncés. Qui ont vieilli, d'ailleurs. Les valseuses, c'est l'histoire de deux types qui veulent du cul. Rien ne me surprenait parce que j'avais vécu ça tous les jours chez moi. Il y a du sexe, mais il est très libre. La petite Huppert, elle dit « merci pour tout » après avoir couché avec Patrick [Dewaere] et moi. Elle n'a d'ailleurs jamais été aussi bonne que dans ce « merci pour tout ». Il n'y a pas beaucoup de gamines qui peuvent s'exprimer ainsi. C'était l'aube d'une grande actrice.

Jeanne [Moreau] aussi était sublime. Ce qui n'est pas toujours le cas. Je vous rassure, moi aussi je fais parfois n'importe quoi. Les grands films, c'est une alchimie étrange qui lie les acteurs, le scénario, la mise en scène, l'époque... Les personnages sortent de l'écran. Dans Saint-Amour avec Benoît [Poelvoorde] et Vincent [Lacoste], il se passe la même chose. Ces deux-là sont des natures. Ils n'ont pas de tics. Benoît se donne à 150%. J'ai même parfois peur pour lui, comme les gens ont pu avoir peur pour moi lorsque je donnais l'impression de déborder.

 

 

Les années 80-90 sont magnifiques, vous enchaînez les grands films. Les années 2000, en revanche, ne sont pas terribles. Baisse de qualité très sensible.

Je passais mon temps dans les avions. Je servais de go-beetwen pour les affaires des uns et des autres. J'allais à Cuba voir Fidel Castro qui avait adoré Danton et Vatel. J'avais fait cent cinquante films et pas des daubes. J'ai gagné des prix et des emmerdes. Pendant ces années, j'ai appris à connaître le monde la finance. Encore des rencontres.

Entendre que Depardieu était perdu pour le cinéma français...

Je m'en foutais complètement.

Comment êtes-vous redescendu sur terre ? Vous semblez reprendre votre carrière en main depuis quelques temps.

J'ai repris, oui, mais sans être payé pour ne rien devoir au fisc français. J'ai fait The Valley of Love gratuitement. Je touche si le film marche.

Pourquoi acceptez-vous de tourner dans une série télé comme Marseille ? 

J'avais vu le film d'Emilio Siri, Ennemis intimes sur la guerre d'Algérie. Le gars m'intéresse. J'ai lu un épisode de la série; c'était bien. Le projet a mis du temps à se finaliser. Je n'en avais plus entendu parler parce que la production pensait que je n'étais pas gérable sur un plateau...

On vous voit ainsi ?

Oui, c'est bizarre hein ? Bref, j'ai lu l'ensemble, c'était toujours bien. Le tournage a duré trois mois. J'ai vécu à l'hôtel. J'aime de plus en plus vivre à l'hôtel.

Pourquoi cette image de personnage ingérable ?

Je ne sais pas. J'ai dû l'être à une époque. Je me suis trouvé ingérable moi-même. Quand je buvais beaucoup. Mais j'ai toujours tenu mes engagements et mes rôles. Sur Le choix des armes, Montant m'a engueulé parce que j'avais tourné une scène alors que j'étais saoul. C'était la nuit et la nuit, à l'époque, je picolais. On l'a retournée de jour, c'était beaucoup mieux.

Delépine et Kervern, avec qui vous avez tourné Mammuth et Saint Amour, sont des types qui doivent vous plaire: libres, anars...

J'avais beaucoup aimé jouer dans Mammuth. Je comprends l'esprit Groland, dont ils sont issus, mais je n'y adhère plus. On se fout de tout. Ça m'énerve.

Pourquoi avez-vous retourné avec eux, alors ?

J'étais content de tourner avec Benoît. C'est un être humain magnifique. Honnête, à vif, cultivé. Il connait la douleur mais il ne l'étale pas. J'avais envie de retravailler avec lui après L'autre Dumas. Et avec mon petit Lacoste que j'aime aussi beaucoup.

Que va-t-il se passer en 2016 ?

Je tourne avec Erik Zonca un polar à côté de Romain Duris. Puis, le film de Fanny [Ardant], parce que c'est Fanny et ça me suffit. Puis dix jours de tournage avec Huppert sur le prochain Serge Bozon. Pour l'instant, c'est tout.

Pensez-vous revenir à la mise en scène ?

Ah non. Ça m'emmerde. Moi, sur un plateau, je peux tenir une cantine et éviter les tensions sur un tournage. Je suis très gérable. Qu'on se le dise!...  

 

 

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29 octobre 2015 4 29 /10 /octobre /2015 15:30

 

« Je ne fais peur qu'aux imbéciles »

Entretien

(Patrick Cabannes avec Alain Delon)

 

Pénétrer dans le domaine de La Brûlerie, à Douchy (Loiret), n'est pas chose facile. Il faut franchir un portail majestueux, décliner son identité auprès d'un garde, emprunter un long chemin qui serpente au cœur d'un bois, contourne un immense étang et débouche enfin sur un charmant manoir. Sous un appentis dort une berline immatriculée en Suisse. Sur le perron, se tient notre hôte. Bienvenue chez Alain Delon. Cheveux gris savamment décoiffés, sourire aux lèvres et regard bleu acier. L'acteur semble heureux. Et il a de quoi. À l'aube de ses 80 ans, France 3 lui consacre un magnifique portrait. Entretien exclusif.

 

 

Comment avez-vous déniché cet endroit ?

Je tournais dans la région et, en rentrant à Paris, j'ai été intrigué par un haut mur d'enceinte interminable. Je me suis arrêté au bord de la route, je l'ai escaladé et j'ai découvert un parc incroyable. Ce jour-là, j'ai décidé que j'en deviendrais propriétaire. Ça m'a pris trois ans! C'est devenu la base des Delon. Mes enfants y ont fait leurs premiers pas. C'est un lieu riche en souvenirs où l'on aime se retrouver.

Pourquoi s'enterrer dans un lieu si loin de tout ?

Vous ne croyez pas si bien dire. Je ne suis à Paris qu'occasionnellement, pour mes affaires. Le plus clair de mon temps, je le passe ici. J'y vis entouré de mes chiens. Je leur ai aménagé un cimetière: certains y reposent en couple. Pour rester parmi eux, j'ai construit une petite chapelle. C'est là que je serai enterré, j'ai toutes les autorisations, ainsi que d'autres membres de la famille s'ils le souhaitent. Il y a huit places...

France 3 diffuse Alain Delon, cet inconnu, un portrait plutôt flatteur. En êtes-vous fier?

J'en suis surtout heureux. D'autant qu'on ne m'a demandé ni mon avis ni d'y participer. J'ai appris l'existence de ce portrait par mes avocats suisses, contactés pour des problèmes de droit. Et, quand j'ai vu ce film, j'ai dit bravo. Je l'ai trouvé remarquable, magnifique. J'ai été très sensible au titre : Alain Delon, cet inconnu.

Pour quelle raison?

Les gens ignorent beaucoup de choses sur moi... Ils vont découvrir ce que je n'ai jamais montré.

Par exemple?

Combien sont-ils à savoir que j'ai passé mon enfance en prison ? Du moins dans la cour de la prison de Fresnes, mon père adoptif y était gardien, où je jouais avec d'autres enfants de gardiens. En revoyant ces images, j'ai ressenti de l'émotion. J'étais vraiment secoué... Ça m'a mis la larme à l'œil.

 

 

On dit que vous faites peur...

C'est une connerie ! Ça m'a suivi toute ma vie, mais c'est une connerie noire ! J'ai l'habitude de dire que je ne fais peur qu'aux imbéciles. Il n'y a qu'eux qui ont peur moi. Je n'ai jamais fait peur à Visconti, à Clément, à Melville... Cela m'a même empêché de tourner avec certains réalisateurs, Truffaut par exemple.

Comment qualifieriez-vous ce portrait?

De véridique. Pas de mensonge, pas de bobard : c'est LA vérité ! Notamment lorsque je pars en Indochine, alors que je n'ai que 17 ans. C'était pour foutre le camp de chez moi. Sans cet événement, ma vie eût été bien différente...

Être acteur vous est apparu comme une évidence...

Exactement. Cette évidence, je la dois à Yves Allégret. Un jour, il m'a dit : «Alain, je voudrais que tu parles comme tu parles, que tu regardes comme tu regardes, que tu écoutes comme tu écoutes, que tu bouges comme tu bouges. Sois-toi. Vis !» Ça a marqué toute ma carrière. Je n'ai pas fait comme Belmondo ou Jean Rochefort, quatorze ans de cours ou d'école. Être acteur, c'est un accident. C'est quelqu'un qu'on prend et qu'on met au service du cinéma ; être comédien, c'est un métier qui s'apprend. Burt Lancaster, Jean Gabin sont des accidents au même titre que Tapie. Moi aussi je suis un accident !

Ce portrait passe rapidement sur votre face cachée, comme l'affaire Markovic...

L'affaire Markovic a pris des proportions incroyables parce qu'on y a mêlé M. et Mme Pompidou. Et même de Gaulle ! C'était un Yougoslave qui vivait chez moi. C'était mon garde du corps et ce n'était pas un voyou. Disons qu'aujourd'hui on le qualifierait de migrant.

 

 

En parlant de migrants, Nadine Morano a dit récemment que la France était un pays de race blanche. Qu'en pensez-vous ?

Je n'ai pas envie de juger ou d'en discuter. Juste une question: «Le Kenya est un pays de quelle race ?». Les gens sont noirs. C'est une polémique ridicule, grotesque, qui n'a aucun sens. Elle a des c... de tenir comme elle tient et de dire : «Je vous emmerde tous, je dis ce que je pense et je continuerai à le dire». Chapeau !

Que pensez-vous de la politique menée par François Hollande et Manuel Valls ?

J'ai connu la France du général de Gaulle et c'était autre chose. Depuis, elle a été plutôt en se dégradant. Gauche, droite, tous les coups sont permis. Ce qui se passe est dégueulasse, d'où le désintérêt des Français pour la politique.

Vous vous étiez déjà exprimé sur la montée de Front national. Aujourd'hui, qu'en pensez-vous ?

Je suis un ami de Jean-Marie Le Pen depuis cinquante ans. Mais, sur le Front national, j'ai simplement dit que je trouvais ça normal que les gens se rapproche de ce parti parce qu'ils en ont marre. Marre de tout ! Et c'est pour ça qu'ils sont prêts à aller n'importe où. Je le confirme : les gens ne savent plus où ils en sont, alors pourquoi pas le Front national...

On connaît Alain Delon au cinéma mais vous avez également joué pour la télévision...

Au cinéma ou à la télévision, quand on dit «moteur», c'est pareil pour moi ! Il y a une caméra qui vous regarde et vous devez lui dire ce que vous avez envie de lui dire. J'ai eu la chance qu'on me propose des rôles intéressants à la télévision, comme Franck Riva ou Fabio Montale. C'était une expérience enrichissante.

Elle offre aussi une belle exposition. Est-ce important pour vous ?

C'est vrai que, 12 millions de téléspectateurs, ce n'est pas rien ! Mais ce n'est pas le plus important. Je n'ai jamais été à la recherche du succès, du triomphe ou de l'argent. Je n'ai jamais fait quelque chose pour de l'argent. J'ai toujours fait ce que je voulais, quand je voulais, où je voulais et avec qui je voulais ! Vous imaginez la chance que j'ai eue...

 

 

Regardez-vous la télévision ?

Plus maintenant. Elle m'emmerde et on n'apprend rien. J'ai l'impression qu'il n'y a plus que l'audience qui compte. Il m'arrive de regarder un bon documentaire et, lorsque l'actualité l'impose, je me rabats sur BFMTV. J'étais accro à la télévision, mais maintenant c'est terminé.

Que pensez-vous de Cyril Hanouna ?

Il ne va pas être content, car je n'en pense rien (rires). Il a dû comprendre et bien assimiler pourquoi on l'aimait. Et il en joue. Je trouve ça guignolesque. Cyril Hanouna, à chaque fois que je tombe sur lui, c'est toujours la même mimique, le même sourire, le même regard. Il n'y a pas que lui. Ce qui me fascine «salement», c'est que ces émissions sont faites parce qu'on est sûr d'accrocher des millions de cons. Je n'ai pas dit de «Français», j'ai dit de «cons» !

Comment avez-vous vécu le départ de Claire Chazal ?

C'est une amie et je suis sûre que cela n'a pas dû la surprendre. Il y a un moment où il faut savoir céder sa place et passer à autre chose. C'est un peu ce qui m'est arrivé... Après, il y a la manière de le faire... Et là on peut dire que c'était un peu cavalier.

Que pensez-vous d'Anne-Claire Coudray, sa remplaçante ?

Elle n'est pas super géniale à côté de Claire et je lui prédis une carrière moins longue ! C'est une question d'époque : les longues carrières, comme au cinéma pour Belmondo, Delon et quelques autres, c'est révolu. Vous pensez que, dans trente ans, vous allez voir Dujardin ? Non! Maintenant, tout va très vite. C'est avant tout de l'industrie, du pognon. Ça manque de sincérité, de cœur et de chaleur. Je regrette cette dérive.

Entre Marc-Olivier Fogiel et Laurent Ruquier, lequel choisissez-vous ?

J'aime bien Fogiel, je le connais depuis qu'il est môme. Et ce que fait Ruquier n'est pas facile. Faut le faire quand même : c'est toujours un peu la même chose. Le rictus, le ton... Mais il sait pourquoi il le fait.

Vous avez été exclu du comité Miss France. C'est un regret ?

Et on revient sur le Front national. À la suite d'une réflexion, qui a été transformée par la presse, on m'a viré de Miss France! Comment peut-on agir de la sorte ? Et tout cas, cette décision m'a privé d'une excellente soirée où je me trouvais entouré de jolies filles (sourire).

Mais vous êtes proche du Front national ?

Non. Et, si je l'étais, pourquoi n'en aurais-je pas le droit ? L'extrême gauche et Mélenchon, c'est valable, mais l'extrême droite, non ? Le Front national représente quand même 6 millions de personnes. C'est 6 millions de cons ? On a le droit de ne pas aimer, mais on doit le respecter.

Invitée sur le divan de Marc-Olivier Fogiel, Mireille Darc vous a fait une véritable déclaration d'amour. Surpris ?

Elle est sincère, elle est vraie. Elle ne l'a pas fait parce qu'elle était sur le divan, mais parce qu'elle le pense, c'est certain. C'était très beau. Mireille est une personne indissociable de ma vie. On se parle pratiquement tous les jours. J'aime beaucoup Mireille. Elle a été probablement le plus grand amour de ma vie. LA femme de ma vie.

 

 

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