15 juin 2015 1 15 /06 /juin /2015 00:25

 

Nouvelles du futur

Ou

Les secrets du monde qu’on nous prépare

(Charles Daraya)

 

01 - Le rêve d'un colosse

02 - Machine & humanisation

Partie I

03 - Jouir de consommer

04 -  Un processus implacable

 

Ce parti pris consumériste se heurta néanmoins à des résistances culturelles, aussi bien dans les usines qu’en dehors [1]. Ce qui allait devenir la culture du plaisir choquait en effet un monde occidental encore attaché ou contraint, selon le point de vue adopté, par les principes d’un destin plus collectif qu’individuel, où l’excentricité restait marginale. Un univers dont les valeurs admises étaient la parcimonie, l’effort, le travail, l’ordre, etc.

Tout ce qu’il fallait pour que, en principe, on balaye d’un revers de main les dépenses inconsidérées, les consommations trop personnelles et, dans la vie quotidienne au moins, les désirs olé olé.

Comment toutes ces résistances furent-elles vaincues ?

 

 

Par l’accouplement de la sphère productive avec celle des médias, qui fut engagé dès les années 1920-1930. Ce sont les médias de masse, à une époque où ils bénéficiaient encore d’une solide autorité, qui ont permis l’expression de cette idéologie consumériste, en particulier par la publicité florissante d’après-guerre. Un ensemble d’images et de discours, de propos sur la mode également, qui valorisaient la consommation renouvelée de produits sans cesse innovants, ainsi que l’impératif de leurs achats aux noms de la libération et du plaisir, enfin offerts à tous les consommateurs [2].

Ces propos démocratiques et permissifs attisaient les désirs de s’affranchir des conditions traditionnelles de l’existence, des contraintes d’une vie urbaine, ou d’une soumission culturelle, dans les cas particuliers des publics féminins ou jeunes – des groupes sociaux rendus plutôt dociles par tradition, jusqu’à ce que l’époque consumériste leur promette d’avoir enfin une vie à eux. Souvent à raison, mais pas toujours : acheter un frigidaire, c’était s’épargner bien des embarras alimentaires, alors que fumer pour se libérer était un paradoxe pervers. 

 

 

Si les premiers médias (journaux, radios), puis leurs successeurs modernisés (télévision, Internet) ont consenti à cet accouplement, c’est que leurs financements allaient peu à peu dépendre des revenus publicitaires octroyés par les industriels. Puisqu’on mord difficilement la main qui vous nourrit, ces médias devaient devenir les fervents laudateurs du consumérisme ou, au mieux, les critiques avares. Sauf s’agissant de médias politisés de tous bords portés sur l’information, volontiers critiques à son égard.

« Sans liberté de blâmer, il n’y a pas d’éloge flatteur », assurait Beaumarchais en son temps, mais à l’époque moderne, la liberté et l’éloge sont plus souvent le signe d’un bon marché…

Inversement, des médias pro consuméristes virent le jour, après-guerre en particulier : journaux féminins, people, de loisirs, etc. Cette presse a ensuite pris une importance considérable, et elle a souvent été thématisée afin d’intéresser des catégories de publicités et de publics prédéterminées. 

 

 

Ici, l’accouplement des sphères productive et médiatique s’est transformé en mariage et dans la pire des configurations, en prostitution organisée. Entre les producteurs et les acheteurs potentiels, c’est alors la logique du chasseur et de sa proie qui s’est presque partout imposée, moyennant des discours cupides agrémentés de publicités ciblées.

Et ce même phénomène de focalisation efficace s’est déployé dans la distribution thématique de produits au sein de réseaux spécialisés et intégrés de magasins.

Entre les producteurs et leurs clients, c’est la logique du chasseur et de la proie qui s’est peu à peu imposée. Et ce goût de la traque n’a cessé de s’affirmer et de s’affiner par la suite. D’ailleurs, le commerce sur Internet et les sites web d’information ne feront que de renforcer la précision, aujourd’hui mathématisée, de cette chasse d’un nouveau genre.

Un processus déterministe avait été engagé.

Celui-ci avait été entièrement mis au service du règne de la machine, alors parvenu à l’aube d’un saut qualitatif.

 

 

[1] - Au milieu du XXe siècle, le corps des ingénieurs américains eut des débats passionnés sur l’obsolescence programmée. Celle-ci heurtait la culture de la production préoccupée de qualité, ainsi qu’une morale inspirée de religiosité : le regard de Dieu observait encore le travail des hommes. En 1951 par exemple, le film The Man in the White Suit (l’homme au complet blanc) est le récit d’un jeune chimiste qui, après avoir inventé un fil trop solide, finit poursuivi par ses patrons au motif du risque de perte d’emploi qu’il fait courir à leurs ouvriers… Aujourd’hui, on retrouve ces critiques sous d’autres formes, refondées par l’importance nouvelle accordée à l’écologie, au développement durable, etc.

[2] - Les premiers grands magasins (Le Bon Marché, La Samaritaine, Les Galeries Lafayette…), prototypes de la distribution moderne, ont ainsi été conçus comme des lieux féeriques, dédiés aux bourgeoises et à la jouissance de leur abandon. Cet univers est bien décrit par Zola dans Au bonheur des dames (1883).

 

Suite au prochain numéro

La métamachine

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commentaires

G
Sujet très explicatif, bravo pour la variété.
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W
Merci pour tes compliments, c'est agréable à lire :O)
S
Quel travail bvo !!!!!!!
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W
Est-ce baveux ou bravo ? J'en perds mon latin. In crast'inam diem ;O)